Message de l’inspecteur général des services policiers de l’Ontario

Le maintien de l’ordre public demeure complexe et évolue constamment. Ces dernières années, les événements publics de masse comme les protestations, les manifestations et les émeutes ont suscité beaucoup d’attention du public et des médias, ce qui a mis à l’avant-scène les interventions policières. En Ontario et partout au Canada, le volume et la fréquence de ces événements, ainsi que la capacité de mobiliser de grands groupes de personnes à l’aide d’un téléphone intelligent, sont en hausse. Qu’il s’agisse de célébrations récurrentes ou de protestations nationales et internationales, tous ces événements nécessitent des interventions adéquates de la part de la police pour maintenir l’ordre public, conformément aux lois sur les services de police de l’Ontario et aux normes juridiques canadiennes. Ce rapport « Pleins feux » constitue un exemple de la façon dont le Service d’inspection des services policiers (SISP) s’acquitte de sa mission, qui consiste à offrir une sécurité accrue pour tous en Ontario. Dans ce rapport, le SISP a reconnu et décrit les domaines qui fonctionnent bien dans le système de maintien de l’ordre public en l’Ontario, tout en cernant des moyens d’améliorer le rendement.

 

Trouver l’équilibre entre le maintien de l’ordre public et les droits et libertés démocratiques

 

Dans certains cas, comme les protestations contre la COVID-19 de 2022, des incidents nationaux ou internationaux créent des moments de tensions naturelles inhérentes à une démocratie. Ces événements révèlent une division profonde au sein des collectivités et présentent souvent un risque pour la sécurité publique. Ils peuvent également se révéler dynamiques, imprévisibles et en évolution rapide. Ils obligent alors les policiers à prendre des décisions sur-le-champ pour concilier différents droits, y compris ceux qui sont protégés par la Charte canadienne des droits et libertés

 

Le mode d’intervention des services de police influe grandement sur la confiance du public envers ceux-ci. D’une part, si la police compte trop sur ses pouvoirs coercitifs, les droits et libertés de nombreux Ontariens peuvent en souffrir. D’autre part, si la police n’applique pas efficacement et à temps ses pouvoirs de maintien de l’ordre public, la sécurité publique, l’économie et la société civile peuvent en souffrir. Il peut en théorie être facile à formuler la nécessité de l’équilibre, mais difficile de l’appliquer dans les faits.

 

Il est essentiel de composer avec cet équilibre délicat entre les droits concurrents et les besoins de sécurité pour prévenir l’escalade et assurer la sécurité publique dans les rassemblements de masse qui nécessitent une intervention de maintien de l’ordre public. Dans les situations qui pourraient s’envenimer, les agents doivent pouvoir s’appuyer sur des politiques de gouvernance bien établies, des procédures opérationnelles, de la formation sur les pratiques opérationnelles et l’application efficace de la loi, ainsi que sur des outils qui peuvent être déployés de façon appropriée. Des événements récents et en cours en Ontario et partout au Canada ont souligné qu’il importe de continuer de veiller à ce que les lois canadiennes, provinciales, territoriales et municipales établissent le meilleur équilibre entre la liberté d’expression et de réunion du public et le droit des autres de mener leurs activités en toute sécurité. Compte tenu de la quantité et de la complexité croissantes des événements liés à l’ordre public en Ontario, je recommande dans le présent rapport que le ministère du Solliciteur général mobilise ses homologues provinciaux, territoriaux et fédéraux pour examiner le cadre juridique régissant les manifestations.

 

Il est temps de comprendre les besoins en ressources et les répercussions des services de maintien de l’ordre public dans une démocratie.

 

L’impact de ces événements sur les ressources policières, les budgets et les agents qui s’engagent dans ce travail sérieux est maintenant plus important. Par exemple, on estime que le « convoi de la liberté » en 2022 aurait coûté 1 million de dollars par jour, dont 800 000 $ seulement pour les services de police[1]. Il a été rapporté publiquement que le Service de police d’Ottawa a engagé au total plus de 55 millions de dollars en coûts associés au maintien de l’ordre lors de ces protestations[2].

 

Plus récemment, entre octobre 2023 et avril 2024, les manifestations liées à la guerre entre Israël et le Hamas ont dépassé les 12 millions de dollars en coûts de maintien de l’ordre, plus de 500 manifestations ayant eu lieu seulement à Toronto[3]. L’an dernier, le Service de police de Toronto a répondu à plus de 2 000 événements imprévus, dont une partie importante a été financée à salaire majoré (soit des heures supplémentaires)[4]. Les événements récurrents dans d’autres régions de la province, comme les rassemblements non autorisés de la Saint-Patrick, entraînent des besoins de déploiement des services de police qui donnent lieu à des coûts importants. Par exemple, le Service de police régional de Waterloo a engagé 318 000 $ pour l’événement de trois jours de la Saint-Patrick[5]. La demande de maintien de l’ordre public continue d’augmenter en Ontario, sans présenter de signe de ralentissement.

 

Les policiers ont pour mission de faciliter l’application des libertés des personnes qui participent à ces événements, tout en assurant la sécurité des communautés qui les entourent. Les services de police doivent disposer de ressources suffisantes pour répondre à cet impératif sociétal. Bien que les commissions des services policiers intègrent des fonds pour le maintien de l’ordre public et les soutiens connexes, les budgets des services policiers peinent à suivre le rythme des demandes en matière de sécurité publique compte tenu de l’augmentation du volume, de la complexité et de l’imprévisibilité de ce travail policier. Même parmi les services de police de l’Ontario qui possèdent leurs propres unités du maintien de l’ordre public, les membres ne sont pas affectés à temps plein à cette tâche. Ils exercent plutôt des fonctions policières régulières et sont déployés dans l’unité du maintien de l’ordre public au besoin. Autrement dit, lorsqu’ils sont appelés à exercer des fonctions de maintien de l’ordre public, leurs tâches régulières sont laissées pour compte, ce qui crée du stress sur les services de police de première ligne, les enquêtes criminelles et d’autres fonctions, car un secteur reçoit de l’attention tandis que le service offert par un autre est lacunaire. De plus, les déploiements prolongés dans les unités du maintien de l’ordre public augmentent le stress pour chacun des agents qui jongle avec ces responsabilités et ses fonctions régulières. En outre, dans de nombreux cas, nombre de services de police comptent sur les heures supplémentaires pour s’acquitter de leur fonction de base, c’est-à-dire fournir des services de police convenables et efficaces de maintien de l’ordre public. 

 

Je reconnais le risque et la complexité du maintien de l’ordre dans le cadre de manifestations et d’autres événements. Je reconnais également les compétences et le dévouement des policiers de partout en Ontario qui s’occupent du maintien de l’ordre public. Ces agents sont soumis à une pression accrue, et souvent exploités à l’excès lorsque nous en avons le plus besoin. Cette situation peut entraîner de la fatigue et des défis globaux lors du recrutement d’agents pour exercer cette fonction importante. Ces tendances ne sont pas viables. Ce sont des réalités auxquelles les chefs de police, les commissions des services policiers, les municipalités locales et la province doivent travailler ensemble. Le bien-être de ceux et celles qui font le difficile travail de maintien de la paix publique doit demeurer une priorité. Le fait de doter adéquatement les services de police pour maintenir la paix publique pendant les événements de masse et pour s’occuper de ceux qui font ce travail constitue le prix que nous devrions tous être prêts à payer dans une démocratie qui valorise nos libertés et notre mode de vie.

 

La coordination des services de maintien de l’ordre public de l’Ontario doit être officialisée pour assurer leur efficacité et leur réussite à long terme. 

 

Il arrive souvent que les événements de maintien de l’ordre public ne se limitent pas à une seule municipalité et qu’ils soient de plus en plus animés par des enjeux provinciaux, nationaux et internationaux. Cette réalité exige une approche « nous tous » pour maintenir la sécurité publique provinciale. À l’heure actuelle, 11 services de police, dont la Police provinciale de l’Ontario (Police provinciale), offrent des services de police pour maintenir l’ordre public partout en Ontario. Autrement dit, 33 services de police comptent sur un autre service pour s’acquitter de cet élément fondamental de services de police convenables et efficaces. Il s’agit d’une demande importante imposée au quart des services de police de l’Ontario. Bien que le modèle de « prestation par certains au service de tous » puisse fonctionner pour l’Ontario, sa viabilité à long terme doit tenir compte des répercussions financières et humaines sur les services qui assurent cette fonction policière dans une très grande province.

 

Dans les faits, la portée et l’ampleur des événements de maintien de l’ordre public prennent une nouvelle forme. Celle-ci montre clairement que les services de maintien de l’ordre public constituent une priorité et une responsabilité à l’échelle de la province. Cette responsabilité s’accompagne d’un besoin de lancer des discussions importantes sur la façon de maintenir à long terme l’approche « une prestation par certains au service de tous » des services de maintien de l’ordre public. Pour préserver le niveau le plus élevé de services de maintien de l’ordre public à l’échelle provinciale dans un contexte de demande et de complexité croissantes, nous devons investir dans ces services de façon appropriée maintenant et à moyen et long terme. Nous devons en outre explorer d’autres modèles éventuels de prestation de services et de déploiement pour nous assurer que les services de maintien de l’ordre public ne sont pas trop sollicités. Il est tout simplement trop coûteux de ne pas payer ces ressources, tant en ce qui concerne les attentes du public qu’en ce qui a trait aux attentes des policiers relativement à leur santé et leur bien-être. Dans le présent rapport, je recommande d’officialiser et d’améliorer la structure de mobilisation des unités du maintien de l’ordre public – l’approche du modèle de « centre » – afin qu’elle devienne un dispositif permanent de maintien de l’ordre public dans cette province qui favorise la coordination stratégique et l’uniformité des interventions dans l’ensemble du système provincial d’ordre public. Je recommande également d’amorcer des discussions entre le secteur de la sécurité publique et la province au sujet du financement durable et à long terme de l’ensemble du système d’ordre public de l’Ontario. L’augmentation de la collecte et de l’accès aux données, y compris l’analyse de la demande, doit orienter ces discussions sur l’affectation des ressources.

 

La préparation de la police est essentielle au maintien efficace de l’ordre public

 

En Ontario, chaque service de police doit planifier la façon dont les incidents mondiaux peuvent avoir des répercussions locales. Les services de police, régis par des commissions des services policiers locales, doivent maintenir un état constant de préparation au maintien de l’ordre public afin d’assurer la sécurité publique de manière légale, professionnelle et efficace, en particulier lorsque des rassemblements de masse imprévisibles ont lieu dans les collectivités locales. L’efficacité des services de police en réponse à ces événements repose sur des renseignements et une préparation crédibles. En se livrant à une réflexion claire, les policiers peuvent aborder ces rassemblements au moyen d’une planification éclairée et éviter des réactions trop répressives qui peuvent susciter la méfiance et la tension du public, surtout sous les feux des caméras. La préparation de la police peut également avoir une incidence positive sur le bien-être des policiers dans des situations où la pression est élevée et où le rythme est rapide, ce qui est souvent aggravé par les pressions politiques et communautaires qui se déroulent en temps réel. 

 

Mes recommandations portent sur les façons d’améliorer l’état de préparation de la police et, en fin de compte, la compréhension de ces types d’événements. Il s’agit de s’assurer que les services de police disposent du tableau de renseignement et de l’évaluation des risques les plus pertinents pour ces événements d’ordre public parfois rapides et exigeants. Mes recommandations visent également à accroître non seulement l’uniformité, mais aussi l’efficacité globale de l’évaluation des risques et de l’échange de renseignements dans l’ensemble du secteur des services de police de l’Ontario, dans l’intérêt des services de police, de leurs membres et du public servi.

 

Approche des nouvelles exigences de la LSCSP pour les services de maintien de l’ordre public en Ontario

 

Bien que les politiques, pratiques et processus opérationnels et de gouvernance varient d’un service de police à l’autre de l’Ontario et dans les commissions des services policiers qui les surveillent, le maintien de l’ordre public représente une exigence législative de base en Ontario. L’exigence relative au maintien de l’ordre public qui existait auparavant en vertu de la Loi sur les services policiers (LSP)[6], maintenant abrogée, et de son règlement intitulé Caractère convenable et efficacité des services policiers, également abrogé, existe maintenant en vertu de la nouvelle Loi de 2019 sur la sécurité communautaire et les services policiers (LSCSP)[7]. Des exigences particulières sont énoncées dans le nouveau règlement intitulé Services policiers convenables et efficaces (généralités). Ces exigences sont entrées en vigueur le 1er avril 2024. Les exigences législatives visent à faire en sorte que les unités du maintien de l’ordre public (UMOP) des services de police possèdent les éléments nécessaires pour gérer habilement un éventail de situations et faciliter l’expression des droits parallèlement au maintien de l’ordre public. Dans le présent rapport, je formule diverses recommandations pour que les commissions des services policiers et les services de police harmonisent leurs approches avec les nouvelles exigences de la LSCSP afin de les rendre conformes. 

 

Ma conclusion sur l’état général des services de maintien de l’ordre public en Ontario

 

À la suite de cette inspection et d’après les constatations qui en découlent, je conclus que l’état des services de maintien de l’ordre public en Ontario est solide. L’infrastructure juridique et de gouvernance qui devrait entourer les UMOP et leur travail opérationnel est généralement en place sous forme de politique et de gouvernance des commissions des services policiers, de procédures et d’orientation du chef de police et de processus de planification opérationnelle. Les UMOP de l’Ontario se sont montrés généralement réceptifs aux conditions émergentes et changeantes. Elles peuvent s’y déployer efficacement dans des circonstances planifiées et imprévues. Cela a amené les UMOP de l’Ontario à établir un « modèle de centre », qui permet à plusieurs UMOP de partout dans la province de coordonner les déploiements à plus grande échelle. 

 

Certains signes montrent en outre que le système est de plus en plus débordé en raison de la demande et de la complexité, et que cette tendance s’accentue. Par conséquent, dans le présent rapport, j’ai cerné des domaines, tant en ce qui concerne la conformité que l’efficacité à long terme, sur lesquels le système de maintien de l’ordre public de l’Ontario devrait se concentrer pour améliorer son rendement global et renforcer la position de l’Ontario en tant que chef de file national dans ce domaine. Compte tenu de ma responsabilité légale de superviser des services de police convenables et efficaces dans la province, le SISP continuera de surveiller le fonctionnement du système de maintien de l’ordre public en Ontario pour évaluer la capacité du système à gérer l’évolution des demandes et à assurer le maintien de la sécurité publique.

 

Ryan Teschner

Inspecteur général des services policiers de l’Ontario

 

[1] Joanne Chianello, « Protest Has Cost City of Ottawa More than 30M$ », CBC news, 23 février 2022, https://www.cbc.ca/news/canada/ottawa/ottawa-protest-demonstration-cost….

[2] Il s’agit notamment des coûts associés aux heures régulières, aux heures supplémentaires et aux jours fériés des membres du Service de police d’Ottawa; des coûts associés à la prestation de soutiens directs à la Ville d’Ottawa et à la perte de revenus et de soutien économique par l’entremise de la Ville d’Ottawa; des paiements aux services de police externes pour les ressources de capacité d’intensification; et des fournitures opérationnelles, de l’équipement, des locaux loués et des coûts des véhicules du Service de police d’Ottawa.

Commission sur l’état d’urgence, Rapport institutionnel du Service de police d’Ottawa, 17 février 2023, p. 21.

[3] Sur le coût total de 12 millions de dollars, près de 5 millions de dollars étaient des heures supplémentaires. 

John Marchesan, « Police Price Tag for Protests Over $12M », City News, 5 avril 2024.

[4] Toronto Police Service Board Meeting Public Agenda (10 avril 2025) Re: 2024 Operating Budget Variance for the Toronto Police Service, période se terminant le 31 décembre 2024 : https://tpsb.ca/jdownloads-categories?task=download.send&id=865:april-10-2025-public-agenda&catid=32, p. 5-6.

[5] Waterloo Regional Police Service Board Open Agenda, Chief of Police Reports 2024-098, http://calendar.wrps.on.ca/Board/Detail/2024-04-17-1030-Waterloo-Regional-Police-Services-Board-of-Directo/4c557755-56c5-42da-b387-b150013b9f37, 17 avril 2024.

[6] Loi sur les services policiers, L.R.O. 1990, c. P. 15. 

[7]Loi de 2019 sur la sécurité communautaire et les services policiers, L. O. 2019, chap. 1, annexe 1.

https://www.ontario.ca/lois/loi/19c01